Du libre débat pour gouverner autrement

Emile H. Malet

 

La France dispose d’une administration étatique bien formée et efficiente. Elle le doit à son histoire monarchique et républicaine, jacobine et girondine, à une centralisation des choix et des décisions, à la richesse des symboles de son identité nationale. Avec aussi le risque de dérapages bureaucratiques, sinon de décisions arbitraires quand la politique est affaiblie, versatile, objet de ressentiments défaitistes et nationalistes (gouvernement français de Vichy) ou tiraillée par des groupes de pression qui se disputent des parcelles de pouvoir en dépouillant la République de son arbitrage régalien et de sa légitime capacité à agir.  Ce que l’on observe au regard de la stratégie de vaccination contre la Covid-19 aussi mal engagée que poussive dans son exécution.

Le célèbre philosophe (Spinoza) de l’éthique politique considère que le pouvoir d’agir est entravé quand les idées fausses s’emparent de l’opinion publique et de la communication politique. N’est-ce pas ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, dans un parfait désordre bien français, avec cette crise sanitaire à répétition où une pandémie monstrueuse venue d’ailleurs déstructure des pans entiers de notre société, de notre économie et d’un vivre ensemble qui vole en éclats par absence de vision de l’avenir. De tergiversation en tergiversation, de rumeurs au mensonges, d’annonces mal cadrées à des décisions erratiques, cette crise sanitaire, déjà grave en soi et d’une effroyable morbidité, semble s’être installée au cœur de nos institutions et en dicter la gouvernance. Quand les masques manquent, c’est qu’ils servent à rien, ils deviendront la bannière sanitaire indispensable quand-on en disposera. Le vaccin était annoncé comme le remède miracle, indisponible en quantité et en moyens de vaccination, il suscite un scepticisme thérapeutique et scientifique avant de redevenir indispensable quand nous en disposerons avec aisance. Qui est en charge de la stratégie sanitaire : les autorités publiques, l’administration, des comités ad-hoc, les médecins, les hôpitaux … c’est selon les moments, les choix faits, les décisions prises. Cette gouvernance partagée crée un malaise général parce que gouverner exige une prise de responsabilité de tous les instants. Une responsabilité qui ne se délègue pas à une administration-fut-elle la plus compétente du monde, parce qu’administrer c’est intervenir en relais des décisions politiques qui doivent naturellement être aussi justes que possible et les plus solidaires.  Or qu’observe-t’on à ce niveau ? Les cultes sont mécontents, ils considèrent que la République laïque les a brimés par des mesures restrictives stupides en privant leurs ouailles de la spiritualité requise pour ceux qui se réclament d’une religion. Pareil mécontentement est observé chez les policiers critiqués le jour et adulés la nuit, ou parmi les personnels de santé, notamment les médecins surchargés d’actes mal planifiés.

Les milieux culturels ne sont pas mieux lotis et encore ne s’intéresse t’on qu’à la partie visible : cinémas, théâtres, et musées fermés, les librairies l’ont été plusieurs mois, toutes activités considérées comme non essentielles. Comme si les innombrables commerces restés ouverts et pour la plupart voués à des activités de consommation courante étaient à priori plus essentiels, tout comme des grandes surfaces de distribution de biens domestiques restées ouvertes mais en interdisant l’activité à d’autres grands magasins. Comprenne qui voudra ces oscillations bureaucratiques qui ont anéanti une partie de notre capital culturel, notamment de cette exception culturelle dont se targue à juste titre notre pays. Quel politique, y compris parmi les brailleurs de l’extrême gauche comme des frontistes de droite, aura fait remarquer que la culture est notre carte d’identité nationale en même temps que l’instrument de notre rayonnement international. Quant à l’éteignoir culturel frappant les TPE-PME de l’éducation, des savoirs, des idées, c’est à un véritable désastre culturel que nous assistons. Nous sommes bien placés pour le savoir, la revue Passages et son association ADAPes ont survécu au naufrage socio-économique en comprimant drastiquement leurs frais de fonctionnement et surtout grâce au soutien de nos partenaires industriels, de quelques institutions publiques et privées, de nos abonnés et adhérents qui ont maintenu leurs concours et leur confiance. Qu’ils soient tous remerciés chaleureusement. De la bureaucratie étatique, malgré les effets d’annonce réitérés comme des antiennes de bienfaisance, le concours financier octroyé était réduit à la portion congrue des aides au chômage partiel. Sait-on dans les hautes sphères administratives que les revues de débat et d’idées sont une part de la mémoire et l’aiguillon culturel de la nation. Mais qui s’en soucie, on ne lit plus selon la rengaine de télés satellitaires et les sondeurs des affects de madame Michu !

A écouter le benchmarking politico-médiatique, que n’a t-on entendu jusqu’à la réitération assommante du leitmotiv national : la France fait tout mieux que ses voisins. Cette autosatisfaction des autorités politiques et de notre bureaucratie est particulièrement édifiante quand il s’agit de faire la comparaison entre la France et l’Allemagne de la gestion de crise tout comme de l’évaluation de la situation sanitaire. Nos voisins d’outre-Rhin ont également subi la crise de plein fouet, demeurent des différences que l’on n’arrive pas à expliquer sinon à nier l’asymétrie structurelle des situations: rapportée à la population, il y a moitié moins de morts liés au Covid en Allemagne qu’en France ; la dette publique est très largement supérieure en France ; les effets sur la croissance ne sont pas à notre avantage… Et la chancelière Angela Merkel qui sera restée au pouvoir plus longtemps que tous le Présidents français demeure au zénith de la popularité comme personnalité politique.

Cette crise sanitaire aura le mérite d’avoir révélé les failles de l’Etat français et de notre système politique, trop centré sur une gouvernance bureaucratique, laissant à l’administration et à ses lobbys de toutes sortes, de l’économie à la santé, le soin d’arbitrer des situations qui relèvent de la décision politique. Cette bureaucratie à tiroirs multiplies est d’autant plus dommageable que la politique française pour n’être pas binaire, une majorité clairement identifiée et une opposition claire, se réduit souvent à communiquer plutôt qu’à faire. De surcroit, à l’émiettement politique que l’on observe à gauche comme à droite s’ajoute l’inexistence de médiation sociale des syndicats, patronaux comme représentatifs des salaires, et une surenchère écologique. En cette nouvelle année, espérons une ressaisissement politique en vue de préparer les prochaines élections présidentielles de 2022 et un retour à une rationalité de bon aloi pour arrêter ce petit jeu puéril et stérile de : plus sceptique que moi tu meurs !

A tous nos lecteurs, à qui nous souhaitons une bonne et heureuse année 2021, et pour ceux qui pourraient se montrer dubitatifs par le côté caustique de notre propos à l’égard de l’ensemble de la classe politique et des princes qui nous gouvernent, nous conseillons la lecture de Péguy qui défendait avec ardeur ses fameux Cahiers littéraires: « nos cahiers ne forment point des séries linéaires, serviles et apeurées… ils forment un grand et variable peuple libre ». (1) Ces lignes fameuses datent du 8 novembre 1904, elles demeurent d’une actualité permanente et hors du temps, comme le sont les grands textes, les grands auteurs et les valeurs républicaines qui constituent le socle de nos libertés. Préservons-les pour mieux se porter et espérer un avenir plus enchanteur.

  1. Charles Péguy, Œuvres en prose, 1898-1908, Bibliothèque de la Pléiade, p 741

 

 

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