La société kaleïdoscopée

Emile H. Malet

 

La société française n’a jamais été aussi fragmentée et émiettée. Elle est confrontée à toutes sortes de forces fossoyeuses de sa cohésion socio-culturelle, de son identité nationale, de son modèle politique. Il suffit d’une provocation, comme ce voile exhibé dans l’enceinte d’une institution territoriale, de manifestations répétitives et violentes à l’instar de ces gilets jaunes déambulant depuis un an sur le macadam des grandes métropoles et aux grands carrefours routiers, ou plus grave encore, de l’attentat meurtrier dans l’enceinte de la Préfecture de police de Paris, pour qu’un ébranlement social suive et se produise, installant de la désespérance citoyenne. 

Jérôme Fourquet, directeur des études politique de l’IFOP, a montré que l’hexagone était devenu un archipel de minorités et de lobbys agissant dans tous les sens et sapant in fine l’autorité régalienne de l’État. Ce diagnostic lucide n’est pas exclusif de la société française, il est afférent à une mondialisation multiculturelle qui désintègre l’ensemble des liens sociaux et embrouille les références culturelles.

Les lignes de faille de cette archipellisation des sociétés ont des sources diverses : les migrations mal maîtrisées et souvent anarchiques qui créent une insécurité réelle ou simplement ressentie auprès de populations précarisées socialement, plus rurales qu’urbaines ; le radicalisme islamiste, d’exhibition vestimentaire et parfois d’expression terroriste avec des attentats meurtriers et provoquant une tétanisation de la société, paniquée et forcément entravée dans sa liberté de mouvement ; toutes sortes de peurs bien souvent irrationnelles, même si certains dangers sont réels (réchauffement climatique, alimentation carnée avariée, déchets nucléaires et industriels, risques liés à un consumérisme obèse). Concomitamment à ces éléments délétères, on observe un délitement des valeurs liées à la famille, au travail, à la sexualité, à l’éducation… et in fine une espèce de méfiance vis-à-vis de la laïcité. Cette laïcité voulue comme un socle social et culturel et désormais contrainte à la fois dans son expression que comme véhicule de la République.

Une mention spécifique doit être réservée à l’affaiblissement de la politique en tant que discours de médiation pour arbitrer les conflits catégoriels et comme autorité régalienne pour assurer l’ordre et la sécurité (tant intérieure qu’extérieure). Pire encore, la politique est banalisée à l’extrême en ne fixant pas un cadre clair et cohérant à l’exercice de la loi, à une mise en exergue de la laïcité articulée autour du récit national. Bref, confrontée aux évènements extérieurs comme aux soubresauts intérieurs, la politique est battue en brèche et ne semble pas en mesure de tenir le manche d’une société kaléidoscopée par les communautarismes en tous genres.

À la différence de la société américaine, agrégeant depuis toujours des minorités socio-identitaires, la société française se veut ouverte aux cultures et aux minorités, en les brassant au sein d’un creuset national et identitaire. Cette unité nationale a volé en éclat du fait de la puissance exponentielle des réseaux sociaux, d’une certaine banalisation du racisme et de l’antisémitisme, du dévoiement identitaire de causes justes (féminisme, abus sexuels, défense des droits de l’homme), de l’exportation de conflits extérieurs sur le terrain national... et in fine de l’incapacité politique à y répondre avec autorité et discernement démocratique. Plus qu’un archipel, la société française s’apparente à un kaléidoscope de valeurs et de ressentiments, de frustrations et de revendications, d’extrémismes et d’exclusions.

Tous ces miroirs socio-culturels vont leur chemin, bien souvent en divergeant d’un patrimoine historique commun et d’un patriotisme de bon aloi. Revenir à l’ordre ancien d’une société policée et classiquement républicaine et démocratique apparaît anachronique face à la déstructuration culturelle imprimée par la mondialisation. Par ailleurs, l’ordre mondial est devenu multipolaire et n’a plus de centralité civilisationnelle. Notre société est face à un dilemme : comment rester ouverte sur le monde et à l’écoute des battements de la planète tout en demeurant républicaine et démocratique.

Ce kaléidoscope social de miroirs divergents ne saurait se muer mécaniquement en jumelles à visée harmonieuse. Pour les pays totalitaires, pour le moins ceux qui sont gouvernés de manière autoritaire, la voie populiste et nationaliste paraît idoine même si elle fait l’objet d’objections et d’une certaine résistance de la part des franges libérales des populations concernées. Le problème reste entier pour les pays démocratiques, embourbés par les pressions communautaristes, les tensions identitaires et une recrudescence des violences. Que faire de ce kaléidoscope social qui conjugue l’hétérogénéité des opinions à la pamoison des passions avec pour objectif (inavoué !) une déliquescence de la loi régalienne ? Ne pas réagir serait aggraver la situation avec le risque de guéguerre civile. L’État doit pour le moins exercer l’ensemble de ses prérogatives et renouer avec une puissance d’agir pour fixer un cadre civique, convivial et citoyen au vivre ensemble. On a pu penser jusque-là que la laïcité pouvait suffire à un exercice régalien du pouvoir, ça ne semble plus être le cas tant elle est malmenée dans de nombreux « territoires perdus » de la République et plus largement sur les réseaux sociaux qui déversent de la haine à jet continu. Il reste à l’État à trouver la parade pour ajuster la démocratie et la République aux défis contemporains. Et pour commencer, à contrer la doxa ambiante diversitaire par un discours républicain dénué de toute ambiguïté.

 

 

 

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