Notre cagnotte Leetchi
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Emile H. Malet
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Fermé week-ends et jours fériés
Emile H. Malet
Nous consacrons un dossier au « Désir féminin, aujourd’hui ». C’est à la fois un propos inactuel et formidablement présent. Car du désir, il en est de chaque instant, c’est un morceau de vie qui vous fait vibrer, nous déçoit parfois, nous éprouve toujours. L’inactualité du désir est liée à la permanence de ce sentiment, de sa vitalité, de son intemporalité, de l’impossibilité de la dater – aucun carbone 14 pour déchiffrer une naissance consubstantielle à la vie elle-même. Sinon, à remonter loin, très loin dans l’échelle humaine, voir au sein du règne animal mû comme pour les humains par la reproduction des espèces. Comme en témoigne Chantal Chawaf dans ce dossier : « Le désir vient de la vie et il va à la vie. » On ne saurait mieux dire.
Présent, le désir l’est à plus d’un titre. Il se retrouve dans toutes les situations qui nous font être, nous mouvoir, communiquer, nous assembler et nous distinguer. Nous haïr et nous aimer, aussi. Le désir est du rêve et de la réalité.
Le désir et l’amour, d’abord. Dans ses Fragments du discours amoureux, Roland Barthes se livre à la généalogie littéraire de ce « couple » qui stratifie la vie et qui aura inspiré les plus grands auteurs : Goethe, Freud, Virgile, Lacan, Flaubert… quelques extraits, marqueurs d’un discours qui ne s’épuise pas :
« C’est tout le discours amoureux qui est tissé de désir. » (Roland Barthes).
« Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre ce qui est fait pour vous donner juste l’image de votre désir. » (Jacques Lacan).
« Un coup de vent brusque fit se relever les draps, et ils virent deux paons, un mâle et une femelle. La femelle se tenait immobile, les jarrets pliés, la croupe en l’air. Le mâle se promenait autour d’elle, arrondissant sa queue en éventail, se rengorgeait, gloussait, puis sauta dessus en rabattant ses plumes, qui la couvrirent comme un berceau, et les deux grands oiseaux tremblèrent d’un seul frémissement. » (Gustave Flaubert).
Il n’y a pas d’amour sans désir et le désir est d’abord désir de l’autre. Nous sommes ainsi faits, né(e)s d’un accouplement et d’une autonomie existentielle, à la recherche de l’autre pour constituer une entité humaine et sociale. Le philosophe Maïmonide problématise cette rencontre entre l’homme (Ich) et la femme (Icha) comme la fusion complémentaire de deux polarités déclinant de concert l’espèce humaine. La visée maïmonidienne est moins sexiste qu’il n’y paraît, le philosophe du « guide des perplexes » (tendancieusement connu comme le « guide des égarés ») n’abordant pas la question de la nature du sexuel, elle propose de polariser la relation de l’un(e) et de l’autre à partir du désir qui les fait tenir ensemble. Francesca Salvarezza propose de montrer dans ce dossier que l’histoire de l’Occident aura été dominée par la séparation entre Logos et Physis, entre la parole qui nous fait écho de civilisation et la nature dont nous venons. Dans l’entre-deux, le discours amoureux sublime et transcende cette séparation pour que l’individu soit un sujet désirant. Désirant de passion, ce qui est au cœur de la relation sexuelle ; désirant d’ambition dans la vie sociale ; désirant de pouvoir dans l’expérience politique ; désirant de haine quand le sujet se repaît de sa pulsion de mort ou d’une identité religieuse meurtrière, ce qu’on observe avec le terrorisme.
On peut aussi en référer à l’immédiate actualité du marché, de la consommation illimitée dans le cadre d’une mondialisation où les désirs sont réifiés en besoins matériels à satisfaire sans attendre et dans l’égoïsme le plus accompli. L’argent et la violence sociale entrent dans cette dernière catégorie, stigmatisée lors de la crise de 1928 par Lord Keynes et Freud comme un temps excrémentiel de l’existence qui survient quand l’égoïsme fait main basse sur l’altruisme. Et que l’homme (ou la femme) renoue dans certaines situations avec ses instincts animaux, primaires, dominateurs et sans partage.
Le désir féminin, aujourd’hui. C’est notre articulation éditoriale qui vient en prolongement d’une très intéressante confrontation qui s’est tenue en décembre dernier à Passages. On ne saurait résumer la richesse et la diversité des propos de ce dossier, complètement inédits et savamment rédigés, qu’avec le risque d’amoindrir la portée prospective du « désir féminin » si prégnant aujourd’hui comme regard, comme alerte et aussi comme symptôme de la désorientation transhumaniste des sociétés contemporaines. Voire, de la deshumanisation qui guette avec la conjonction d’une virtualité accrue par les nouvelles technologies et de l’évacuation du discours amoureux « complètement abandonné des langages environnants » (Roland Barthes). L’accumulation compulsive de biens et d’argent est en train de phagocyter le phallique et la libido chez l’homo-oeconomicus contemporain. Olivia Koudrine, dans une communication bien sentie, prend le contre-pied de cette morosité amoureuse en affirmant : « Le désir sexuel nous enflamme. » En somme, le désir féminin se présenterait toujours comme l’affirmation d’un éveil à la vie et à la passion.
Nonobstant l’affadissement socioculturel conséquent à la mondialisation et toutes les régressions politiquement correctes inhérentes à la société de consommation, il reste l’espoir (mince) d’une résistance psychique à l’ensauvagement de la planète. Car « le désir est le plus fréquent créateur de rêves » (Freud).
Emile H. Malet