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Emile H. Malet
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9h - 13h
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Clin d’œil sur le monde par Emile H. Malet
Terreurs, tous azimuts. Qui est visé.
Le terrorisme le plus abject a encore frappé. A Berlin et à Ankara, en Allemagne et en Turquie. Certes, le terrorisme islamo-politique est quotidiennement en œuvre au Proche et au Moyen Orient, en Afghanistan et au Pakistan et sur de nombreuses terres d’islam. Mais, ce terrorisme vient à nouveau de s’exporter pour frapper des cibles hautement symboliques. Berlin, capitale de l’Europe, est endeuillée par le geste meurtrier d’un chauffeur de poids lourds fonçant dans la foule paisible d’un marché de Noel. Sur le Kurfürstendamm, les Champs Elysées de Berlin, et à l’ombre de l’église du souvenir, la Gedächtniskirche – Bilan : une dizaine de morts et moult blessés – La cible visée est Noel, l’église, la fête, le souvenir.
A Ankara, Andreï Karlov, ambassadeur de Russie en Turquie a été sauvagement assassiné par un jeune policier turc, criblant de balles sa victime au nom d’Allah Akbar (Dieu est grand) et accusant la Russie de crime de guerre à Alep. C’est un attentat terroriste d’inspiration islamiste et il doit être condamné comme tel. La cible visée est l’étranger, le russe en l’occurrence et quoique le prétexte soit politique, c’est du terrorisme islamiste.
Quels enseignements politiques tirer ? L’Allemagne est à l’instar de la France et d’autres pays occidentaux une cible pour le terrorisme. Le pays économiquement le plus puissant d’Europe ne peut plus s’exonérer de sa part du fardeau, laissant à la seule France le soin de combattre le terrorisme en Afrique et au Proche Orient – Berlin doit coordonner avec Paris et tous les pays de l’Union Européenne une politique active dans les services de renseignement et agir de concert sur les questions de terrorisme, de migration, de surveillance du territoire. Face à une France affaiblie, l’Allemagne doit se montrer encore plus entreprenante et engagée pour la cause de la paix en Europe.
Quand à la Turquie, son Président Recep Tayyip Erdogan est trop inconséquent politiquement et frotte trop d’allumettes pour contrôler une situation incendiaire. Erdogan détruit édifice par édifice la société laïque et républicaine mise en place par le père de la Nation Atatürk. L’islamisation rampante de la Turquie produit des monstres comme ce policier criminel. Par ailleurs, on ne peut pas être un jour avec Daech, puis contre, avec la Syrie des rebelles et coopérer durablement avec Moscou, liquider les Kurdes à tout bout de champs etc. Qui sème le vent récolte la tempête. Triste leçons de cette diplomatie erratique et médiocre. Je vous souhaite de bonnes fêtes de Noel et je vous retrouverai en 2017.
Les petits drapeaux d'Obama
Barack Obama quittera la Maison Blanche le 19 janvier prochain, Donald Trump, le nouveau Président élu occupera le bureau ovale présidentiel le 20 janvier. Mais depuis début novembre 2016 qui a vu l’échec d’Hillary Clinton et la victoire de Trump, nous assistons à une transition de plus en plus tendue – même si les formes sont plus ou moins respectées. Donald Trump est impatient d’agir et pour ce faire il n’hésite pas à faire connaitre les axes de son programme politique qui, comme on sait, vont pour l’essentiel à l’encontre de la politique d’Obama. Ce dernier cherche à préciser son héritage politique et pour ce faire plante des petits drapeaux dans des domaines hautement symboliques : l’environnement, la Russie, Israël. Obama est trop intelligent pour savoir que Trump ne tiendra aucunement compte de ses recommandations de dernière minute, surtout qu’elles sont très éloignées du programme politique de Trump et du fait que le Congrès – à la fois la chambre des Représentants et le Sénat ont des majorités républicaines appuyant Donald Trump. Obama a montré jusque-là qu’il respectait la légalité et ses formes de représentation tant au niveau législatif qu’exécutif pour chercher à saboter la venue de Donald Trump à la Maison Blanche. Alors, pourquoi Barack Obama prend-il le risque d’affirmer haut et fort une posture politique qui ne fut pas la sienne durant ses huit ans de mandat ?
Comme toujours, dans ce genre de situation, on se perd en conjectures et autres interprétations. Obama a été le premier Président noir dans l’histoire des Etats-Unis. C’est un symbole mais un héritage insuffisant pour cet homme ambitieux qui cherche sa place dans l’histoire américaine. Paradoxalement, c’est dans les domaines où Obama se sera montré le moins offensif, le moins convaincant, là où ses échecs sont tangibles qu’Obama plante ses petits drapeaux.
En matière d’environnement, Obama décide un mois avant de quitter la Présidence d’interdire les forages pétroliers en Arctique (côté américain), c’est trop tard et la pérennité de la décision dépendra de toute manière du Congrès. Concernant Israël, Obama n’a pas opposé de véto à une résolution onusienne condamnant la colonisation par Israël – ce qui constitue une première – et son ministre Kerry a critiqué fermement la politique de Netanyahou en des termes forts peu diplomatiques – ce qui est contre-productif lorsqu’il s’agit d’un allié comme l’a fait remarqué Theresa May, chef du gouvernement anglais. C’est un coup d’épée dans l’eau car les deux mandats d’Obama n’ont en rien fait progresser le dossier israélo-palestinien. En leur temps, les Présidents Bush, Carter et Clinton ont fait mieux et plus pour la paix et le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Enfin, dossier le plus épineux : les relations avec la Russie et les crises qui en dépendent. Barack Obama ne saurait ignorer sa responsabilité dans le dossier syrien, fixant les lignes rouges que le dictateur Bachar el Assad ne respecta pas et sans la moindre réaction de l’Amérique Dès lors la Russie aura pris le dessus sur la diplomatie américaine allant jusqu’à intervenir militairement pour soutenir le dictateur syrien. Par ailleurs et quoique la Russie soit intervenue lors de la dernière élection américaine en brouillant l’informatique du camp démocrate, la dernière décision d’Obama d’expulser des diplomates russes a un air de guerre froide qui ne trompe pas. Et que ni Poutine ni Trump ne suivront. Aussi, et pour conclure, on peut se demander si dans le but de se ciseler un héritage à la mesure de ses ambitions, Obama ne cherche pas à transformer ses hésitations et autres déconvenues diplomatiques et politiques en projections hâtives qui auraient pu réussir. Aussi, si le pouvoir est difficile à conquérir, il semble encore plus difficile de s’en séparer.
La diplomatie du tweet
A l’occasion de la remise des Golden Globes à Los Angelès, Meryl Streep, la grande actrice américaine, a apostrophé publiquement le Président élu Donald Trump pour lui faire reproche d’une attitude raciste et xénophobe. Réplique immédiate de Donald Trump qui a taxé Meryl Streep de larbin des démocrates et d’Hilary Clinton. La réponse présidentielle est venue par twitter, c’est ainsi que Donald Trump communique, allant jusqu’à adresser plusieurs tweets quotidiennement et faisant ainsi connaitre non seulement ses réactions aux personnes et aux événements, mais aussi pour mieux apprécier ses vues politiques et stratégiques. Ainsi, le Président élu Trump s’est opposé au Président sortant Obama sur deux sujets majeurs de la politique internationale des Etats-Unis : condamnation de la Russie et de Poutine par Barack Obama à propos du brouillage informatique par des supposés hackers des services de renseignement russe, réaction neutre et éloge de Poutine par Donald Trump ; critique violente de la colonisation israélienne par l’administration américaine sortante, soutien fort de Donald Trump. Et à chaque fois, c’est via twitter que le Président élu s’exprime. Moins par caprice ou foucade passagère, comme on l’a pensé initialement que selon une démarche clairement pensée.
Donald Trump considère que sa venue à la Maison Blanche s’inscrit en profonde rupture par rapport aux deux mandats de Barack Obama. Pour ce faire, il cherche à contourner l’ensemble des médias, notamment américains, qu’il estime globalement hostiles à ce qu’il est, à ce qu’il propose, à son élection et donc à la nouvelle politique qu’il veut incarner et exercer. Aussi, Trump cherche à s’exprimer sans filtre médiatique et dans l’instantanéité de l’événement, considérant que c’est ainsi qu’il se fait le mieux entendre, sinon susciter l’adhésion du plus grand nombre.
Au-delà de Trump, la communication par tweet, plus affective que raisonnée, plus subjective que conceptuelle est dans l’air du temps où tout se mêle et s’enmêle, la politique et les médias, les hommes politiques et le show business, l’affect et la réflexion, la popularité servant de curseur à toute action privée ou publique. Aussi, avec Internet et toutes ses subtilités informatiques, nous vivons une crise grave de la communication et de l’information. Ce qui est en cause, c’est la place des médias et plus précisément des journalistes comme contre-pouvoir démocratique au pouvoir politique. Si les politiques prennent des risques en s’affranchissant du filtre médiatique, le milieu de la communication et de l’information a également pris le risque d’une bien-pensance érigée en prêt-à-penser et qui ne reflète bien souvent que la morale policée du political-correctness.
Reportages de la Revue Passages n° 189/190
Choses vues en Palestine de Sonya Ciesnik
Qalandia check point… C'est juste une part de la routine, vous vous le dites à vous-même avec appréhension. Le bruit métallique des portes rappelle la prison, et la pensée de la prison provoque immédiatement une soif extrême, un désir de boire, plus fort que toute sorte de peur ou d'indignation... Et maintenant il y a le regard narquois de la soldate de Tsahal aperçu de derrière la fenêtre insonorisée de son poste, contrôlant toute possibilité de communication. La queue des Palestiniens au check point fait pression instinctivement pour franchir le barrage, une masse collective de corps dans laquelle l'on pourrait se perdre. Le fait d'être un outsider au conflit ne sert pas ici, vous pourriez disparaitre dans l’oubli. Ici, dans les territoires, un peuple sous occupation est en train d’être divisé, avec un sentiment d’effacement, sans que personne ne puisse entendre son cri de protestation : le microphone a été éteint.
Le printemps arabe a été comme une flamme allumée en 2011 en Tunisie et qui s’est propagée à travers le monde arabe, perturbant les ordres sociaux et politiques, et délogeant des régimes tyranniques qui semblaient destinés à durer éternellement. Le feu a pris au Maroc, en Algérie, au Yémen, à Bahreïn et à Oman sous forme de manifestations. Des régimes sont tombés en Libye et en Égypte. Alors qu'ailleurs des populations entières descendaient dans la rue, pourquoi n'y a-t-il pas eu de soulèvement important en Palestine ? Alors que diverses manifestations étaient organisées à Ramallah, le problème essentiel étant de savoir s'il fallait privilégier la main ou le gant. Les Palestiniens devaient-ils s'attaquer à leur politique intérieure gangrenée ou à l'occupation israélienne ? Ce que les Israéliens ont vécu comme une période de calme relatif, les Palestiniens l’ont vécu comme une asphyxie lente et constante : plus de colonies, plus d'expulsions, plus d’assignations à résidence, et plus de terres perdues en raison du mur qui sépare leur territoire de celui d'Israël.
En septembre 2016, en compagnie de Gerard Sebag, journaliste de France Télévisions, j'ai été guidée autour de Ramallah par Kaied, un journaliste local d’une vingtaine d’années. Kaied, qui vit à Naplouse mais travaille à Ramallah, possède une façon particulière et détachée de décrire les monuments et les bâtiments. C'était comme si nous les regardions à travers un voile qui nous empêchait de voir leur plein potentiel. Alors qu'il avait des amis qui avaient vécu en Arabie Saoudite et au Koweït pour de meilleures possibilités d'emploi, Kaied avait choisi de rester en Cisjordanie et de travailler dans le domaine des droits des citoyens et du développement social. À cette fin, il nous a proposé de rencontrer les dirigeants locaux du mouvement Fatah, des comités de femmes palestiniennes ainsi qu'un expert travaillant avec le président palestinien Mahmoud Abbas.
Alors que nous attendions Kaied au milieu de la poussière tourbillonnante et du trafic, juste après le check point de Qalandia, devant le mur séparant les territoires palestiniens d'Israël, nous avions sous les yeux toute l'histoire tragique racontée par des peintures murales : des soldats israéliens fantomatiques et sans visage tirant sur des femmes et des enfants, et quelques mètres plus bas, un feddayin qui riposte, embusqué derrière des rochers. À Tel-Aviv, sur un panneau publicitaire, le message était très différent : des soldats de Tsahal vantaient une série télévisée dans laquelle des jeunes hommes et femmes, vêtus d’uniformes, aux sourires rayonnants, se posaient en défenseurs de la nation. Le passage d’un territoire à l’autre formait un décalage comme dans une maison-miroir.
Difficile de rester objectif dans ce contexte. Rester objectif serait l'équivalent de rester indifférent. Ainsi de Jean Genet défendant la Révolution palestinienne dans les années 1970 avec son livre Le Captif Amoureux, et lucide sur le fait que les dirigeants palestiniens comptaient en tirer profit, je me suis mise à douter que je servais à mon tour à une « opération de propagande ».
La cause palestinienne étant éclipsée par la guerre en Syrie et la menace de l'État islamique, une Américaine discutant avec différentes associations palestiniennes prouverait qu'un citoyen des Etats-Unis, et par extension les Etats-Unis eux-mêmes, s'intéressaient à la Palestine. Quand Gérard Sebag et moi sommes arrivés, nous avons été accueillis par une telle effusion d'hospitalité, que nous sommes passer d'une réunion à une autre agrémentée par du thé chaud et des pâtisseries et discutant de la souffrance des Palestiniens sous l'occupation israélienne. Mais les gens étaient charmants, intelligents et intéressants, alors pourquoi ne pas se prêter à cet exercice de propagande ?
Alors que nous étions assis dans un bureau spacieux qui dominait les collines brumeuses de Ramallah, le président de l'Association des ingénieurs palestiniens, Majdi Al-Saleh, a décrit les années après-Oslo. Pour les Palestiniens, cet ensemble d'accords prouvait à quel point il serait difficile d’avancer vers la paix. En divisant la Cisjordanie en trois divisions administratives, les zones A, B et C, les accords d'Oslo ont été largement considérés comme une farce permettant aux Israéliens de poursuivre leur expansion territoriale. Al-Saleh fait remarquer que «le nombre de colons israéliens vivant en Cisjordanie a triplé depuis la signature du premier accord en 1993» et que «les Palestiniens vivant dans les zones A et B sont confinés dans des Bantoustans » précisant que ces enclaves étaient une « règle dans ce qui était devenu une mer de colonies».
Quant à la zone C, qui comptait plus de 60 pour cent de la Cisjordanie, Al-Saleh a noté qu'aucun développement ne pourrait se produire sans la permission d'Israël. Une route ne pouvait être pavée, un puits ne pouvait être creusé, et un tuyau ne pouvait pas être posé sans un permis délivré par l'administration civile – l'organe directeur d'Israël en Cisjordanie. De tels permis sont rarement accordés et les structures qui sont construites sans eux sont susceptibles d’être démolies par l'armée israélienne. (1)
Al-Saleh a expliqué plus profondément le lien entre le développement, la construction et la décision indépendante. Après la deuxième Intifada, son association avait supervisé une grande partie de la reconstruction en Cisjordanie. Cependant, son travail a bien pu être mené en vain parce que « des ingérences étrangères travaillaient à créer des divisions parmi les Palestiniens ». Il a souligné la surprenante victoire du parti des Frères musulmans en Jordanie, qui ont remporté des sièges au parlement jordanien. Cette victoire électorale, ainsi que le basculement en Turquie de la laïcité à la gouvernance religieuse, a signifié que l'influence islamiste dans la région était de plus en plus importante. Al-Saleh a estimé que ces groupes politiques sont « frères » avec le Hamas, et que ce dernier s'attendait à recevoir leur soutien. « Ce devrait être une priorité de concilier les différences entre les deux (Fatah, le gouvernement laïque en place en Cisjordanie, et le Hamas, le gouvernement islamiste à Gaza). »
Israël, avec toutes ses innovations, dans les domaines de la biotechnologie, de l'agriculture, de la médecine, de l'irrigation, avec sa réputation d'être la Silicon Valley du Moyen-Orient, était comme le soleil qui dominait la Cisjordanie. Le développement d'Israël crée un ressentiment des Palestiniens, leur lutte pour récupérer des territoires « volés » devenait une lutte pour la survie. Pour cette raison, le leader palestinien Yasser Arafat est une figure légendaire à la mode parmi la jeunesse palestinienne d'aujourd'hui: « Il a changé la légitimité révolutionnaire en légitimité internationale », m'a dit un ami de Kaied, ajoutant : « Si quelqu'un est debout sur votre tête avec une botte, bien sûr, vous ferez tout ce que vous pouvez pour le sortir de votre tête. Notre mouvement est restreint et nous nous sentons asphyxiés- il suffit d'aller voir dans cette direction » dit-il en pointant la colline derrière nous. « Et vous arriverez à un point de contrôle. Je les déteste, je veux qu'ils dégagent».
Bien que la plupart des Palestiniens aient aimé l'idée de la résistance comme moyen de changer l'ordre naturel et d'atteindre la justice, le gouvernement élu en Israël était trop puissant, trop sûr de lui-même et avait peu à perdre tout en continuant son expansion coloniale. Les Palestiniens ont le sentiment que toutes les taxes et autres impôts versés au gouvernement israélien servait in fine à financer leur propre répression.
La première Intifada a commencé en vue de briser la relation que les Palestiniens entretenaient avec leurs occupants. Le mot intifada signifie littéralement secouer. L'idée était que les Palestiniens devaient mettre fin au système de contrôle, en refusant de continuer à travailler en Israël, de ne plus manger et porter des vêtements achetés en Israël et de payer des impôts à Israël. Pour Abed Al-Menim Wahdan, commissaire adjoint pour la jeunesse du Fatah, qui a vécu cette première Intifada, ce fut une expérience de solidarité radicale. Il nous a expliqué comment, avant cette première Intifada, le Fatah et trois principaux partis politiques palestiniens de gauche avaient tranquillement construit des réseaux locaux d'organisations de jeunesse, de comités de femmes et de syndicats. Par conséquent, lorsque le boycott toucha les produits alimentaires israéliens, les comités agricoles palestiniens ont pu le suppléer ; lorsque les Israéliens ont fermé les écoles, des comités éducatifs étaient prêts à enseigner aux enfants.
Comparée à la première Intifada, au caractère révolutionnaire, qui avait connu un succès relatif, la deuxième Intifada fut désastreuse. La résistance militaire a entraîné la mort de milliers de Palestiniens, la construction du mur et l'installation d’autres postes de contrôle. La deuxième Intifada s’est soldée par un échec : des terres perdues, des militants emprisonnés, et comme l'a dit un ami palestinien, le mot « palestinien » devenu synonyme du mot « terroriste ». En 2016, les cicatrices étaient encore fraîches et une série d'attaques au couteau a renforcé la perception internationale qu'Israël menait une lutte nécessaire contre des terroristes.
Shawan Jabarin, le directeur de l'ONG des droits de l'homme Al-Haq était connu comme un champion des droits de l'homme, mais la Cour suprême israélienne le considérait comme un terroriste en raison de ses « prétendues » relations avec le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Il avait de l'autorité et de l'influence au sein de la société civile palestinienne, pour pouvoir expliquer les ressorts des récentes attaques terroristes.
« Ils ont le droit de résister », dit-il. Mais je ne pouvais pas me débarrasser de mon sentiment d'être légèrement déstabilisée, d'être dans un rêve. Après avoir trouvé un chauffeur de taxi arabe (les Israéliens juifs ne peuvent pas se rendre en territoire palestinien), après avoir franchi le point de contrôle et roulé lentement au milieu du trafic, nous avons trouvé le bureau de Jabarin sur Rokab Street, l'une des artères centrales de Ramallah.
L’entretien s’est déroulé sur fond de panique : chaque seconde précieuse avec le directeur passait trop vite. Le chauffeur de taxi s’impatientait, pressé de retourner à Jérusalem-Est. Vu la tension et le risque de nouvelles attaques de la part des Palestiniens contre les forces de sécurité Israéliennes, on pouvait s'attendre à passer des heures au poste de contrôle de Qalandia où les gens et les véhicules passaient au compte-gouttes.
« C'est une question difficile, et je sais que vous n'êtes pas responsable, mais avec le pic de violence, pourriez-vous me dire ce qui pousse les jeunes Palestiniens à piéger les forces de sécurité et les citoyens israéliens ? », ai-je demandé. Sa réponse comprenait la version officielle donnée par les autorités palestiniennes et son avis personnel de la situation. Il a expliqué qu'il existe plusieurs conditions qui créent ces vagues de violence, mais que la colère est la principale raison. Avec l'idée d'une « réaction collective » selon laquelle ces actes commis par des individus constitueraient une vengeance de la part de toute la société palestinienne pour avoir subi une inégalité de traitement dans le domaine légal, l’humiliation aux postes de contrôle et les souffrances économiques liés aux impôts élevés payés à l'Etat Israélien.
« Alors tu vois », dit-il, lentement et pensif, en ramassant le couteau placé dans le bol de fruits devant nous et l’agitant ensuite dans l'air, « la frustration s'accumule jusqu'à ce que nous ne puissions plus la supporter et les gens alors craquent... » Il a ajouté qu'il était même préoccupé par sa propre fille, parce qu'elle lui avait dit avoir été arrêtée par des soldats israéliens au check point. N'importe quel manque de respect, comme mâcher un chewing-gum, pouvait vous valoir des heures de détention.
« ...Mais le monde est plein d'injustices », ai-je dit, reprenant sa dernière phrase. « Les gens souffrent partout de traitements inégaux et pourtant ils ne poignardent pas la personne la plus proche, responsable à leurs yeux leurs problème. »
Un lourd silence remplissait l'air. L'assistante du directeur, une jeune femme qui vivait à Jérusalem-Est, soupira et leva les yeux au ciel. Le directeur s'assit tranquillement sans changer d'expression. Peut-être pensait-il que je ne comprendrais jamais. Après tout, nous venions tous deux d’horizons différents. Je n'avais jamais connu la terreur d'une fouille nocturne ou la démolition de ma maison. Peut-être ne voulait-il pas entrer dans la polémique. Les attaques étaient de la légitime défense mais au bout de compte ils constituaient un crime.
Je n'ai pas cru, comme la plupart des Palestiniens me l'ont expliqué, que les coups de couteau étaient des actes de désespoir incontrôlés. Ces actes étaient délibérés, d'une nature dramatique et théâtrale. Les Palestiniens le voulaient ainsi. Ils ont tablé sur les images de violence pour dénoncer le conflit. Comme dans la tragédie de Shakespeare Macbeth, la violence était intime et avait l'intention d'infliger des dommages physiques et psychologiques aux juifs israéliens.
J’aurais voulu pousser le directeur dans ces derniers retranchements mais il fallait partir... Nous nous sommes séparés cordialement. Je me retrouvai dans le long escalier, dans la chaleur vive et chaude de la journée, et repris mon taxi.
Au point de contrôle pour Jérusalem-Est, je fus surprise de voir que mes mains tremblaient en tendant mon passeport. Devant nous, les soldats israéliens venaient juste de passer un long moment à inspecter un camion blanc géant. Ses larges portes avaient été ouvertes de sorte que tout l’intérieur soit exposé à la vue de tous. L'atmosphère de suspicion intense était omniprésente et j'étais convaincue qu’il y aurait un problème avec mon document.
« Où est le visa d'entrée ? », demanda d’emblée la soldate israélienne. C'était la petite feuille de papier rose donnée à l'aéroport, en lieu et place du tampon sur le passeport. Je l'avais laissée à l'hôtel. Avec le chauffeur, j'ai attendu dans un état d'anxiété et d'incertitude alors qu'elle consultait ses collègues. Nous nous sommes garés sur le côté et avons attendu ce qui nous a semblé une éternité avant qu'elle revienne et nous dise que nous pouvions y aller.
Alors que nous nous éloignions, j'ai pensé à cette étrange situation dans cette région du Moyen-Orient. Les jeunes Israéliens passent leurs soirées à patrouiller aux frontières à la recherche de voitures piégées plutôt que de dîner chez eux avec leur famille. Et des étudiants palestiniens passent des heures à faire la queue aux postes de contrôle où ils sont traités comme des terroristes par défaut avant qu'ils puissent aller en cours ou rentrer chez eux. Il n'y avait pas un bon côté ou mauvais côté. C'était simplement une tragédie au cours de l'histoire humaine.
À ce moment-là, la paix n'a jamais semblé aussi inaccessible en Israël et en Cisjordanie. Même affaiblis militairement, les Palestiniens continuent d’insister sur l’« empowerment », et en particulier sur la nécessité d’acquérir plus d’autonomie pour eux et aussi pour leurs institutions. «Sans savoir comment et quand les Israéliens quitteraient» ou dans le cas où leur propre État serait créé, ils pourraient acquérir leur propre identité nationale. Avant tout, il est important de conserver un sens de l'humanité: «Ils ont la bombe nucléaire, nous avons Mahmoud Darwisch (poète palestinien)», comme me l'a dit Shawan Jabarin.
Ce serait une erreur aujourd'hui de considérer le sort des Palestiniens du seul point de vue des frontières géographiques. A travers le nomadisme des Palestiniens en exil, on observe le même état de déplacement perpétuel ressenti par les milliers de réfugiés qui fuient la guerre en Syrie et en Irak. La cause palestinienne est incrustée sur la réalité d'aujourd'hui, d’où qu’on l’appréhende.
Dans l'impossibilité de traverser Israël, Kaied, mon interlocuteur, se trouve contraint de faire le voyage éreintant de dix heures à travers la Jordanie pour se rendre à l'étranger. Le même itinéraire était réservé à ses parents syro-palestiniens qui passaient par Amman pour se rendre à Paris en fuyant Alep. À travers eux, j'ai appris que l'imagination palestinienne vit et a une caractéristique unique: le désir de paix de son peuple et un effort désespéré de forger leur vie à l’image de leurs tapisseries traditionnelles, harmonieuses et symétriques et cela au sein de tout le chaos du monde.
(1) Entre 2006 à 2013, les FDI ont démoli plus de 1 600 structures non autorisées dans la zone C, ce qui a déplacé près de 3 000 Palestiniens.
La transition énergétique européenne et le rôle central des réseaux de Michel Derdevet
La transition énergétique, en marche partout dans le monde depuis l’adoption de l’accord de Paris, le 12 décembre 2015, se fera à l’évidence en 3D : Décarbonation de la production, Décentralisation des prises de décision et Digitalisation des échanges.
A cette aune, l’Europe de l’énergie laisse entrevoir les plus grands espoirs pour une Union pionnière dans la transition « bas carbone ». Elle dispose déjà de trois fois plus de capacités électriques renouvelables par habitant que le reste du monde, et elle fut l’artisan, ne l’oublions-pas, de la mise en place du premier marché continental du carbone au début du XXIe siècle.
Mais, partant de ce constat, on doit aussi relever une absence de pilotage européen du modus operandi de cette transition, doublée d’une montée des « nationalismes » énergétiques. Alors que les électrons circulent librement par-delà les frontières des Etats-membres, l’opinion de nos pays est souvent captée par des discours de tensions et d’oppositions, souvent stériles, entre les « modèles » énergétiques des uns et des autres.
Ainsi, le débat entre Français et Allemands s’arrête trop souvent à la polémique nucléaire/renouvelables, sans appréhender les complémentarités et les interactions (réelles) entre les stratégies énergétiques suivies par nos deux pays.
On oublie aussi au passage de mettre en perspective l’urgence de se « désintoxiquer » – d’abord – des énergies carbonées (charbon, pétrole, gaz) qui grèvent lourdement la balance commerciale européenne et retardent notre nécessaire adaptation aux paradigmes énergétiques de demain. Le débat nucléaire versus renouvelables masque ainsi une réalité : les énergies renouvelables ont couvert en 2015 près d’un tiers de la consommation électrique allemande, soit un quasi-doublement par rapport à 2010 ; mais l’électricité issue des centrales à charbon reste encore dominante outre-Rhin (42,9 %), en augmentation par rapport à 2010 (274 TWh en 2015, contre 263 TWh en 2010)… et avec elle les émissions de CO2 ! Derrière le scénario « rose » d’un avenir de plus en plus décarboné, la réalité est ainsi parfois plus sombre.
Si l’on souhaite retrouver les chemins du consensus et des chantiers industriels à partager pour que l’« Union de l’énergie » ne relève pas uniquement du discours théorique bruxellois, il est sans doute un domaine majeur, celui des infrastructures électriques ou gazières qui relient nos pays et parcourent nos régions.
De ce point de vue, on entend souvent dans nos deux pays des discours annonçant la fin des réseaux de transport et de distribution d’énergie. Le très médiatique essayiste américain Jeremy Rifkin, plébiscité ici ou là dans l’Union, dépeint ainsi un avenir où l’alliance du digital et des nouvelles sources d’énergie permettrait de produire localement l’électricité « à coût marginal zéro ». Il rêve d’une planète où « des centaines de millions de personnes produiront leur propre énergie renouvelable à la maison, au bureau, à l’usine, et partageront l’électricité verte sur un Internet de l’énergie »[1].
Ce monde sans réseau imaginé par Rifkin ressemble en tout point au « domaine romain » qu’évoque l’historien Paul Veyne, censé être autonome car produisant de manière autarcique ses propres olives, son pain et son vin.
Mais n’est-ce pas un mythe ? Est-on sûr que la juxtaposition d’isolats énergétiques autonomes fait sens au plan global ? Relier là où c’est possible les différents territoires de notre planète, de nos pays et de nos régions par des réseaux énergétiques, est-ce là un modèle du passé ?
Un projet industriel grandiose porté par la Chine, diamétralement opposé à celui de Jeremy Rifkin, invite à se poser la question. SGCC, la firme d’Etat en charge du réseau électrique chinois (aujourd’hui le plus important réseau mondial), propose de bâtir rien de moins que « l’interconnexion globale de l’énergie mondiale ». En clair, ce projet vise à supprimer les transports classiques d’énergie (par bateaux, trains ou oléoducs), pour faire de l’électricité décarbonée le moteur essentiel de l’économie mondiale d’ici à 2050. Comment ? A travers un vaste réseau mondial à très haute tension associé à des réseaux intelligents locaux (les fameux smart grids) chargés de gérer le délicat équilibre entre consommation et sources intermittentes de production (le vent et le soleil). Le potentiel d’énergie solaire serait massivement capté tout autour de la ceinture tropicale, tandis que des myriades d’éoliennes géantes seraient implantées aux confins du cercle polaire arctique.
L’investissement envisagé pour connecter la production électrique de l’ensemble de la planète, et en particulier l’Asie et l’Europe, serait de 13 000 milliards de dollars d’ici à 2050. Il inclurait la mise en place de très larges capacités de stockage, afin de pallier l’absence de vent ou de soleil. SGCC investit déjà dans différents opérateurs de réseaux à travers le monde (Italie, Portugal, Australie, etc.), avec cette perspective vertigineuse à l’esprit.
Existe-t-il une voie médiane entre l’utopie micro-locale rifkinienne et le rêve global chinois ? Oui, à l’évidence. En Europe notamment, fort de l’existence d’un réseau électrique unifié européen à 50 Herz, et retrouvant l’inspiration de la CECA et de la CEEA, la nécessité d’une vraie politique industrielle commune autour des réseaux électriques s’impose pour mieux aborder ensemble l’arrivée des énergies renouvelables par les réseaux de distribution, le rôle nouveau des citoyens/consommateurs et la montée de multiples centres de décision digitalisés. Sur la base d’une impulsion franco-allemande, il nous faut rapidement travailler ensemble sur la recherche, le développement et la normalisation, pour faire de l’Europe un leader des réseaux intelligents, et relier entre eux les différents territoires européens engagés dans la transition énergétique[2].
Ce sujet doit être mis sur la table, dans nos deux pays et dans le reste de l’Union, car nous devons à tout prix éviter la « fracture électrique » entre les territoires ruraux, producteurs massifs d’énergies renouvelables, dont la consommation décroît, et les villes/métropoles européennes, qui n’atteindront jamais l’autosuffisance énergétique, mais capteront souvent la croissance et l’intelligence numérique.
Les réseaux sont le lien indéfectible entre nos différents territoires, qui permet à la fois d’accueillir les initiatives et les projets locaux, tout en les articulant entre eux. Capitalisons sur cet atout d’avoir su construire, au cours du dernier demi-siècle, des infrastructures énergétiques modernes, porteuses de solidarité et de développement économique réussi pour notre continent !
*Secrétaire général, ENEDIS
Maître de conférences à l’Institut d’Etudes politiques de Paris
Professeur au Collège d’Europe de Bruges
[1] In La nouvelle société du coût marginal zéro.
[2] Cf. « Energie, l’Europe en réseaux », rapport remis en 2015 au président de la République
Exclusivité
Quelques jours à Haïti, « Une ile en détresse ? »
Henri Boyé, ancien Directeur à EDF, Ingénieur général Honoraire des Ponts Eaux et Forêts, est aujourd’hui consultant en énergie et travaille notamment pour ECODIT, une société américaine spécialisée dans le développement international, sur un projet financé par l’USAID en République Démocratique du Congo à Kinshasa. Il nous fait part de son point de vue sur Haïti.
Énergéticien globetrotter au long cours, je viens, dans mon nouveau métier de consultant en énergie, de séjourner pour la première fois quelques jours en Haïti, du 8 au 12 novembre, invité par l’USEA (United States Energy Association).
Je découvre un pays étonnant. Géographiquement à 80 km de Cuba et deux heures d’avion de la Floride, Haïti occupe la partie ouest de l’ile d’Hispaniola, partagée avec la République dominicaine à l’Est. Découpé, vallonné, des plages et des paysages magnifiques, il a un peu la forme d’un crocodile ouvrant sa grande mâchoire…
Haïti est une terre de grands contrastes avec une fracture sociale terrible, misère, promiscuité, chômage quasi général, agriculture insuffisante, peu d’infrastructures, peu de routes, pas d’industries, peu de tourisme. 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté dans le pays sans doute le plus pauvre de l’hémisphère nord, marqué par une corruption généralisée et pas d’Etat de droit. Violence, délinquance, agressions, gangs, kidnappings, sont des faits de la vie quotidienne et des menaces ressenties. Le marché de la sécurité et protection est florissant chez les privilégiés de Pétionville, le quartier chic sur les hauteurs de Port au Prince.
Des catastrophes naturelles terribles frappent régulièrement Haïti, île en détresse. Le séisme du 12 janvier 2010 a détruit l’île, faisant 250 000 morts sur dix millions d’habitants. Aujourd’hui de nombreuses ruines restent visibles et le processus de reconstruction tarde à s’achever malgré l’aide internationale. Cette année en octobre 2016 l’ouragan Matthieu a dévasté toute la zone Sud de l’île, faisant un millier de victimes.
Les Haïtiens parlent principalement le créole, issu phonétiquement du vieux Français du temps de la colonie. L’histoire du pays, chahutée et violente, marque l’inconscient collectif : depuis la découverte par Christophe Colomb en 1492, les autochtones Tainos décimés par les colons espagnols, les raids des boucaniers Français ou anglais, l’importation massive d’esclaves africains pour les plantations de canne à sucre, la révolte des esclaves sous la Révolution française... L’indépendance d’Haïti est acquise en 1804, première « république noire » au monde. Suivront deux siècles d’instabilité et de coups d’État, dix-neuf ans d’occupation américaine de 1915 à 1934, des conflits entre la bourgeoisie mulâtre des villes et la paysannerie noire des campagnes, et trente ans de Duvaliérisme jusqu’en 1986. Aux tontons macoutes de Duvalier faisant régner la terreur ont succédé Aristide et ses « chimères »…
Le visiteur arrivant à Port au Prince est frappé par les très nombreuses affiches électorales, car le 20 novembre ont lieu les élections présidentielles et locales. Les portraits des 27 candidats sont omniprésents. Pourtant un sentiment de répétition se fait sentir, on recommence tout après un processus électoral avorté pour cause de fraudes massives lors du premier tour de 2015. (C’est Jovenel Moise qui a été déclaré élu, dès le premier tour du scrutin de 2016). Espérons que le futur gouvernement réussisse enfin à redresser le pays et que ce ne soit pas une « mission impossible». L’apprentissage de la démocratie est un chemin difficile et souvent chaotique.
Le Vaudou est omniprésent et cohabite avec des religions nombreuses. Le pays survit grâce à l’aide internationale, avec la présence militaire des Nations Unies (5000 hommes de la MINUSTAH), et d’une multitude d’ONG. La diaspora haïtienne joue un rôle important.
L’environnement aussi est en souffrance à Haïti. Une urbanisation incontrôlée, un recours excessif au charbon de bois entrainant déforestation et érosion des terres végétales, ces éléments affectent l’écosystème de l’île.
Cependant, malgré catastrophes et misère, anarchie et corruption, loi de la jungle et chaos ordinaire, Haïti donne une impression de joie de vivre. Le sens de la fête est très présent, le célèbre carnaval l’illustre. Musique populaire, peinture et arts graphiques, littérature, témoignent d’une créativité artistique florissante. Les peintres ont été les meilleurs ambassadeurs d’Haïti, ils ont donné l’image d’un pays coloré, mystique, naïf, quand la presse internationale ne parlait que de misère et violence.
Comment contribuer au redressement? Du point de vue professionnel, ma courte première mission à Haïti a porté sur un audit de l’énergie, secteur qui reflète bien les problèmes de gouvernance du pays. La compagnie nationale Electricité d’Haïti (EDH) fait face à des difficultés techniques, managériales et financières considérables. 25 % seulement des habitants bénéficient de l’électricité entre 4 et 10 heures par jour avec beaucoup de coupures, un nombre énorme de branchements illégaux, beaucoup de clients sans compteurs. 70 % de l’électricité produite est volée ou non payée et les 30 % de factures sont mal recouvrées. EDH doit détenir le triste record mondial des « pertes non techniques », ce qui empêche bien sûr maintenance et investissements. La réduction de ces pertes non techniques est donc la priorité numéro un à mettre en œuvre, un enjeu difficile car l’impératif de bonne gestion se heurte à beaucoup d’obstacles et de freins.
Il y a aussi des initiatives locales d’électrification décentralisée pour développer des « minigrids », avec des énergies renouvelables, du solaire et des compteurs à prépaiement bien gérés. Ces réalisations, à l’initiative de municipalités, d’acteurs privés ou d’ONG, peuvent constituer autant de petites réussites à encourager et multiplier, pour le développement économique et humain de ce pays en souffrance, riche d’histoire, de culture et de potentiel et très attachant.
Henri Boyé